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Joannes CATON

Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa)
     

mise à jour : 30.08.2005
(c) B.Rivatton





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Plan de Nouméa et environs à l'époque de J. Caton.
Crédit photo : R. Jannot, publié in Journal d'un déporté ...

Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...

Ducos, ministre de la Marine et des Colonies, organisa en 1853 la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France. La presqu'île de Ducos borde au nord la rade de Nouméa, longue de 7 kilomètres.

1 - Installation et premières découvertes (28 septembre - 23 octobre 1873)

2 - Un terrain à moi ... (31 octobre - 5 décembre 1873)

3 - Quelques notes sur la Calédonie ... statistiques de déportés (1) (9 décembre 1873 - 20 janvier 1874)

4 - Evasion ... partie de pèche en mer ... découverte ... (18 - 24 février 1874)

5 - Statistiques de déportés (2) (6 avril 1874)

6 - Rencontre avec un ... stéphanois ! (30 juin 1875)

7 - Note concernant la déportation en Nouvelle-Calédonie (3) (début juillet 1875)

8 - Rencontre avec Louise Michel ... (7 septembre 1875)

9 - Nouvelle installation dans la vallée de Numbo (14 juin - 9 novembre 1876)

10 - Lettre des parents - commutation de peine (14 février - 14 avril 1877)

Visitez la Presqu'île de Ducos
Visitez l'île de Nou
Visitez Nouméa
La loi du 13 mars 1872 qui instaure la déportation en Nouvelle-Calédonie
Le décret du 31 mai 1872 - réglement en enceinte fortifiée

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Des déportés à leur débarquement à Nouméa
Crédit photo : Journal de la Société des Océanistes, publié in Journal d'un déporté ...


Ile Nou, pénitencier en 1870 (gravure)

Crédit photo : Archives Nationales RV-750614 (?)


Presqu'île Ducos : anse Ngi
Crédit photo : B. Rivatton / 09.2000


Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
1 - Installation et premières découvertes ...
(28 septembre - 23 octobre 1873)

28 septembre 1873

C’est dimanche. Du pont où nous sommes montés, on voit à gauche la presqu’île Ducos avec les tentes et les baraquements des déportés. D’ici, cela a un air pauvre et triste.

A droite, c’est l’île Nou avec son pénitencier ; en face Nouméa dont une montagne nous masque une partie.

A midi, on repart et le Calvados contourne l’île Nou en la rasant à la toucher et va s’ancrer en plein port de Nouméa. Une vingtaine de navires y sont mouillés, dont deux transports français : le Cher et la Rance. La moitié de ces navires ont le pavillon anglais.

Nous espérions, dans notre impatience de quitter notre enfer, débarquer aujourd’hui, mais ce n’est que demain que les déportés condamnés à l’enceinte fortifiée seront conduits à la presqu’île Ducos.

Au soir on fait l’appel de ces blindés, comme on nous appelle. Nous, sommes en 4 batteries, 133. On nous prévient d’être prêts pour demain au lever du soleil.

29 septembre 1873

Avant 5 heures, on nous fait rendre nos hamacs, on délivre nos bagages et on nous sert le café.

A  5 heures, l'ordre est donné aux « blindés » de monter sur le pont, c'est l'instant de la séparation définitive. Nous jetons les yeux sur notre nouvelle patrie, les montagnes en sont jaunes, sèches ; autour de nous et sur Nouméa flotte une atmosphère rougeâtre, les nuages ont l'air de sortir d'un volcan.

Sur le pont, un appel se fait et aussitôt nous descendons dans les chaloupes qui nous attendent collées aux flancs du Calvados. Le ciel est couvert, la mer jaunâtre, l'atmosphère brûlante: il pleut. Il est 7 heures lorsque nous sommes tous placé dans les chaloupes. Le remorqueur se met en route.

(. ..)

Le remorqueur contourne une pointe de l'île Nou ce qui nous éloigne du bagne et nous rapproche de Nouméa, puis cingle en droite ligne sur la presqu'île Ducos.

(...)

Voici qu'on distingue de plus en plus la presqu'île Ducos, on écarquille les yeux, on s'efforce de s'emplir la vue du tableau de cette enceinte ainsi apparue, mais seules, quelques habitations en planches, isolées, s'offrent à notre curiosité.

Un cavalier descend (...) par un sentier de la montagne; nous laissons, l'ile Nou et Nouméa loin derrière nous. Nous arrivons; nous voilà au point de débarquement. C'est un léger quai sur pilotis d'environ quarante mètres de longueur. On s'arrête... on attend...

(…)

Un signal est donné et nous escaladons le quai les uns par l'escalier, la plupart par les poutres de côté.

On nous rend nos sacs, nos hamacs, nos malles, tous nos bagages, et il nous les faut porter jusqu'au campement à vingt minutes de là. Nous sommes chargés à crever.

Nouvel appel, par ordre alphabétique cette fois et voilà qu'on nous lâche sur le bord de la mer. Oh! la joie de se dégourdir les jambes après cinq mois d'une existence de cul-de-jatte.

Oh ! la volupté de sentir la terre ferme sous ses pas! l'espace autour et au-dessus de soi! C'est comme une ivresse sous laquelle nous trébuchons bien plus que sous nos fardeaux dont nous ne sentons plus le poids. Nous marchons sur une terre d'un jaune rougeâtre formée par une sorte de schiste tendre effrité. Une belle fleur rouge et jaune s'offre à droite du chemin. Quel bonheur pour moi de la cueillir ! C'est une asclépiade.

(...)

Nous passons une langue de terre qui relie à marée basse l'ilôt Kuari à la presqu'île. Cet Îlot n'est qu'une seule montagne, des forçats creusent un de ses flancs pour en extraire de la pierre et s'interrompent pour nous regarder passer.

Voilà la baie de N'umbo. Je cueille encore au passage quelques fleurs blanches (il y a si longtemps que je n'ai eu une telle réjouissance), je m'étonne de la couleur jaunâtre que l'on voit à la terre de tous côté et nous arrivons aux premières maisons de l'enceinte fortifiée. Ce sont des prisons bâties en pierre enduits de chaux, ce sont les habitations des surveillants. Nous remarquons un poteau qui marque la limite du territoire réservé aux déportés.

Plusieurs centaines de nos compagnons d'infortune en blouses et pantalons de toile blanche, le chef recouvert de larges chapeaux de paille sont là qui nous attendent. On se reconnaît, on se serre les mains et chacun, suivant ses amis retrouvés, s'éparpille de son côté.

Je suis Tamet, Machetti et un jeune homme nommé Carrier, né à Saint-Etienne, mais condamné à Versailles, et ils me conduisent dans une grande case où se trouve plusieurs autres déportés qui m'accueillient à bras ouverts.

(…)

Si j'en crois ce que l'on me dit, jusqu'à présent le gouverneur applique à la lettre le 1er paragraphe de l'article 4 de la loi du 13 mars 1872 nous concernant :

« Les condamnés à l'enceinte fortifiée jouiront dans la presqu'île Ducos de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer la garde de leur personne et le maintien de l'ordre,

« Après les appels, ils peuvent circuler librement sur tout le territoire limité seulement par le chemin de ronde de l'est.»

Dans la première vallée, à quelques mètres de distance les unes des autres, dix, quinze, vingt mètres au plus, les déportés ont construit en paille, bois et boue, une centaine de cases dites paillotes, basses, étroites, pleines de puces et de moustiques et ayant toutes une apparence triste, Elles sont entourées de concessions de terrain séparées par de légères barrières de broussailles et le tout constitue la capitale de la déportation; la ville de Numbo.

Dans la deuxième vallée, appelée Tindu, séparée de la première par une légère élévation, d'autres déportés ont édifié une vingtaine d'autres paillotes dans un même nombre de concessions de terrain.

(…)

Dans le fond de Numbo (...) un peu plus à droite s'élèvent plusieurs grandes constructions mi-partie en pierre, mi-partie en bois recouvertes en zinc. Ce sont : au milieu, l'hôpital avec un 1er étage entouré d'une véranda; derrière, l'habitation des sœurs, à gauche celle du surveillant et de l'aide-major chargés du service, puis à droite et un peu à l'écart une autre construction presque carrée qui sert à la fois d'église et de logement à un curé.

En suivant plus loin le bord de la mer, on arrive sur une petite baie dénommée N'gi sablonneuse et propre, celle-ci, et toute bordée d'une variété de rhododendrons, de pruniers à fruits d'or, de bois de Santal, et de milnéas à fleurs roses et à parfum exquis.

(…)

On arrive ensuite à une autre baie, large, vaste, toute formée d'un sable fin et de coquillage brisés. C'est la baie dite Gentelet, du nom du déporté qui le premier est venu y fixer sa paillote. Une montagne toute recouverte d'une épaisse forêt la protège contre les vagues de la haute mer et forme la pointe extrême de la presqu'île Ducos.

Traversant l'isthme, d'une centaine de mètres de large, qui relie la forêt à la presqu'île on arrive à la baie de la Dumbéa, calme, immense, semée d'îlots mais là, pas de plages, ni de sentier au bord de l'eau, mais un chemin à dix mètres au-dessus de la mer qui ramène à la vallée Tindu. Par ici, par là, des petits bois de sapinettes, des bois de fer, des gaïacs etc. Un peu avant d'arriver à Tindu, sur une pointe de terre qui regarde le nord, on rencontre le cimetière des déportés.

30 septembre 1873

Au large une ligne de coraux. Par endroit cette ligne s'interrompt et la mer y est calme, ce sont les passes, les seuls endroits par où les navires ont accès à la Nouvelle-Calédonie. Sur le versant ouest de la forêt, est un bras de mer qui sépare la presqu'île de l'îlot Freyssinet. Cet îlot qui n'est qu'une montagne, paraît n'être habité que par des animaux qui y paissent en liberté. Peu d'arbres mais beaucoup de broussailles. Nous trouvons là un serpent qui à notre approche, s'empresse de regagner le flot. Nous nous en emparons et l'emportons après l'avoir tué; sa tête est ronde, petite, et son corps tout annelé de blanc, de bleu et de noir, a environ 1 mètre de longueur. Ce serpent d'eau (Hydrophis) est dit très venimeux cependant.

(…)

Une longue crête formée d'une demi-douzaine de montagnes de quelques centaines de mètres d'élévation, avec entre elles, deux fonds marécageux, sorte de vallées pleines de boue noire, adossées l'une à l'autre et finissant à la mer par un marais de palétuviers: telle est la presqu'île Ducos. Dans ces deux vallées sont établis les deux camps qui constituent la déportation dans une enceinte fortifiée : Numbo et Tindu.

Un chemin dit de ronde, contourne les flancs de ces montagnes et, la nuit, est parcouru par des surveillants faisant office de sentinelles. Pas le moindre indice de fortifications: à quoi bon d'ailleurs ; la mer entourant la presqu'île à peu prés de partout; le seul chemin par lequel on pourrait en sortir est celui qui conduit à Nouméa et être à Nouméa ne signifierait pas que l'on est libre, loin de là.

8 octobre 1873

Le courrier qui emporte nos lettres pour la France part aujourd'hui pour Sydney.

Comme à Oleron, j'ai ici un no : le 719, mais contrairement à ce qui a eu lieu pour les forçats, nos numéros sont toujours suivis de nos noms sur les rapports affichés par l'administration.

23 octobre 1873

(…)

La nourriture qui nous est allouées est déterminée par l'article 2 du décret d'administration publique du 31 mai 1872 réglant la régime auquel nous sommes assujettis. Il est ainsi conçu : « La nourriture du déporté est celle du soldat aux colonies, sauf la ration de vin. »

Elle consiste en: viande fraîche ou conservée: 250 grammes, pain : 750 grammes, café: 20 grammes, sucre cassonade : 25 grammes, huile : 8 grammes, vinaigre: 2 centilitres, haricots ou riz: 12 ou -6 centilitres. Le pain seul est préparé et nous devons faire cuire nous-mêmes le reste de nos aliments. C'est ce que, dans notre baraque, nous faisons à tour de rôle au moyen d'ustensiles de campement des plus élémentaires.

Chacun doit se procurer le combustible nécessaire à son tour de cuisine et pour cela, il faut aller d'avance à la forêt ouest en ramasser et rapporter une charge.


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...
de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
2 - Un terrain à moi ... (31 octobre - 5 décembre 1873)

31 octobre 1873

Une décision du rapport de ce jour me concède un terrain (lot numéro 464) d'une surface de 200 mètres carrés entre la case Paschal Grousset et le camp de la Guerrière.

Je m'étais résolu à faire cette demande de concession, il y a quelques jours, moins pour me livrer à la culture que pour être plus tranquille, plus à l'aise pour travailler, et pour échapper plus sûrement aux accès de désespoir qui reviennent trop souvent. De l'emplacement que j'ai choisi, je dominerai la grande rade et j'aurai la vue de toute l'Île Nou et d'une partie de Nouméa.

5 novembre 1873

Les asclépiades ont cessé de fleurir et leurs graines se sont envolées sous la bise, portées par leurs aigrettes soyeuses. C'est le moment de la floraison des palétuviers. J'ai vu aujourd'hui le fameux vampire calédonien, il est noir, a le museau tenant du singe et du chat. Il est de la grosseur d'un écureuil, comme lui garni d'une fourrure épaisse et longue. La longueur de son corps est d'environ 0,25 m mais ses ailes une fois ouvertes donnent à la bête un grand développement. De ses poils, m'affirme-t-on, les naturels se font des tresses pour attacher leurs cheveux ou suspendre à leur cou des coquillages.

Les requins se font voir fréquemment sur les bords de nos plages depuis quelques jours; aussi les déportés qui se livrent à la pêche se plaiqnent-ils que leurs lignes cassent fréquemment.

17 novembre 1873

Le commandant territorial de la presqu'île Ducos, Pelet-Lautrec lieutenant de marine, capitaine du Cyclope est remplacé par le capitaine d'infanterie de marine Lanoé.

18 novembre 1873

J'ai assisté hier depuis 6 heures du soir jusqu'à 10 heures à un spectacles grandiose. Le feu avait pris à la pointe ouest de l'île Nou et toute la montagne était en flammes. Du sommet le plus élevé de la presqu'île où j'étais monté, le tableau était émouvant et je ne pouvais me lasser de le contempler. La sécheresse est, sans doute, seule cause de cet incendie. A ma droite sur la Grande-Terre vers Bourail une autre forêt peut-être plus importante est aussi en flammes, mais l'éloignement en diminue considérablement l’effet. 

5 décembre 1873

 Je me garde donc de sortir, qu'aurai-je à voir du reste, dans cette ville aux maisons basses, à toits de bois ou de zinc, aux rues presque désertes ? Le seul intérêt qu'elle puisse offrir, réside dans sa population hétéroclites, où l'on voit s'agiter toutes les variétés possibles de l'espèce humaine et tous Ies degrés de civilisation.

Par la porte de ma chambre que je tiens entr'ouverte, j'aperçois tout un coin du port, le seul endroit où se trouve quelque animation. Matelots français, anglais, australiens, hindous, chinois et malais, etc... s'y coudoient, chargeant ou déchargeant des colis; ouvriers canaques, néo-hébridais où des Loyalty attelés à des rudes corvées; déportés s'offrant à la besogne, soldats et officiers flânant, policiers surveillant et patrons dirigeant, ordonnant, hurlant des ordres accompagnés de grossières injures. Ici un riche armateur traite d'affaires avec quelques gros commerçants, le chef abrité d'un vaste et luxueux panama; là, un colon accompagné de sa femme et de ses filles erre sur le port, attendant sans doute l'heure de quitter la colonie pour rejoindre sa patrie, peut-être seulement pour aller passer un mois de vie et de plaisir à Sydney; ailleurs ce sont des enfants de négociants qui s'amusent sous la conduite et la surveillance d'un garçon de famille, forçat non libéré que le gouvernement des pénitenciers accorde aux habitants de Nouméa auxquels ne suffisent pas les serviteurs indigènes et qui ont besoin d'un domestique civilisé! Qu'était dans le monde celui que j'aperçois ? notaire, médecin. avocat. prêtre ou simple escarpe !


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...
de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
3 - Quelques notes sur la Calédonie ... statistiques de déportés (1)
(9 décembre 1873 - 20 janvier 1874)

9 décembre 1873 

Les noms donnés par les naturels à divers points de la Nouvelle-Calédonie et qu'on leur a laissés en général, sont tous monosyllabiques. La langue canaque peu riche en mots (400 environ) trouve moyen de tout exprimer par le simple changement d'une consonne devant une syllabe quelconque. De là les noms géographiques de N'Gi, M'Bi, N'Bo (dont on a fait Numbo), N'Du (Undu), T'du (Tindu), N'Méa (Nouméa), D'Béa (Dumbéa).

 Dans mes promenades, j'ai eu la chance rare de rencontrer plusieurs fois, des kanaques flânant ou arrachant le magnagna, leur plante favorite, dont les tiges rampantes se trouvent fréquemment aux flancs de ces montagnes.

 Une autre fois, j'ai rencontré deux autres naturels ; ils étaient sur le bord de la plage N'Gi et nus comme les précédents, tenaient à la main quelques flèches munies à leur bout d'un os pointu. Ils allaient lentement sur le bord de l'eau, guettant apparemment le poisson et une flèche toute prête à être lancée dans leur main droite. Je m'approche et regarde attentivement leur manège. Sans s'inquiéter de mon approche, ils continuent à tenir les yeux fixés sur la mer à trois pas de la rive. Tout à coup l'un d'eux lève le bras et rapide comme l'éclair, lance violemment sa flèche. L'eau bouillonne un instant, puis un assez gros poisson remonte à la surface, mort et transpercé.  

14 décembre 1873  

Les femmes déportées à l'enceinte fortifiée sont arrivées ce matin à 8 heures, débarquées de la Virginie. Elles sont huit et ont toutes été cantonnées dans un même baraquement au milieu de Numbo. Louise Michel est du nombre et l'accueil qui lui a été fait prouve qu'elle jouit d'une grande popularité parmi les Parisiens.

 5 janvier 1874  

Un bruit court depuis quelques temps avec persistance. Il s'agirait de la suppression de l'enceinte fortifiée et nous irions tous à l'île des Pins.

Il est possible que la trop grande proximité de la presqu'île Ducos avec Nouméa soit une gêne pour l'administration et lui inspire des craintes sur notre sauvegarde, mais l'enceinte fortifiée créée par une loi ne peut être supprimée que par une loi et il passera de la houle sur les récifs avant que celle-ci soit faite.

 Le chiffre des déportés actuellement en Nouvelle-Calédonie est modifié ainsi qu'il suit depuis l'arrivée de la Virginie :  

Déportés à l'enceinte fortifiée (presqu'île Ducos)

766

Déportés simples (île des Pins et Grande- Terre)

2.577

Femmes déportées (presqu’île Ducos)

8

  «                «  (île des Pins et Grande- Terre)

12

   

3.363

  20 janvier 1874

 J'ai quelques peu modifié ces temps derniers, l'itinéraire de mes promenades quotidiennes, et pour deux raisons: la première, pour ne pas toujours rencontrer sur mes pas le pauvre fou du cap de la baie N'Gi, dont la vue me crève le cœur et me rend triste pour tout le jour; la seconde, par amour du changement. Du reste, le côté nord de la presqu'île a bien du charme, la baie dite de la Dumbéa -du nom d'une rivière qui a là son embouchure -est très vaste, bordée de nombreux palétuviers et toute entourée de collines élevées où se montre une assez belle végétation.

Derrière ces collines se dressent, à pic et inaccessibles, de hautes montagnes entièrement dénudées, parmi lesquelles l'une, le Mont-d'Or, atteint une altitude de 1.800 mètres. Tout près de nous, à quelques encablures du rivage, se voient deux îlots, l'un, Undu, entièrement recouvert par une forêt, le second Nie, au contraire, n'est, comme l'île Freycinet, placée à l'entrée de la même baie, qu'une crête où la brousse même ne croit que péniblement.   


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
4 - Evasion ... partie de pèche en mer ... découverte ...
(18 - 24 février 1874)

18 février 1874

 Je suis évadé ? J’écris ces notes, libre, sur un point perdu de la côte de la Grande-Île ! Suis-je bien éveillé ou rêvé-je que j’ai cessé d’être un déporté ?

(…)

J’ignore quel est le point exact de la côte où je me trouve. Le pêcheur m’a assuré que nous campons entre Païta et Bouloupaic [*], près d’une rivière appelée la Tontouta et sur le territoire d’une tribu des plus insoumises. Nous ne devons y séjourner que quelques heures, le temps de préparer notre prise et de faire divers échanges avec les insulaires.

(…)

  [*] il faut lire Bouloupari

Visitez la région de Bouloupari

Favorisé d’un bon vent, le Ducker court comme une hirondelle sur la surface miroitante du lac que forme l’océan dans cette partie de la Grande-Terre que borde au large la ligne des récifs. Sur la côte, le paysage change peu, mais maintenant des îlots dont quelques-uns, très importants, se montrent sur notre gauche. Fawcett, qui a ouvert sur le bordage une carte rapportée de Sydney, me désigne du doigt leurs noms. Ce sont les îles Hugon, Pouen, le Predour, Ducos. Toutes sont situées dans une vaste baie plus allongée que profonde appelée Saint Vincent, au fond de laquelle se trouve le village de Bouloupari.

Il y a quatre heures que nous naviguons sous un ciel torride, heureusement tempéré par une bonne brise du large, lorsque nous voyons venir à nous un navire que dans l’éloignement, j’ai pris pour un trois-mats. Jusque-là nous n’avons rencontré que des pirogues de canaques, accouplées ou munies d’un balancier, voguant à la recherche des cachalots ou des requins.

- C’est le Viti, me dit John Fawcett, un petit côtier de 30 tonneaux, qui s’en revient du tour de côte et retourne à Nouméa.

Et il s’en rapproche du plus près qu’il soit possible et demande aux hommes de l’équipage s’ils n’ont aperçu par-là les troupeaux que nous recherchons. Si, ils les ont rencontrés et à plusieurs reprises, après avoir doublé le camp Goulvain, nous devons sûrement les retrouver par-là.

A son tour Fawcett apprend aux hommes du Viti la nouvelle de la guerre déclarée entre les tribus des territoires de Paita qu’ils rapporteront au chef-lieu de la colonie.

(…)

Ce n’est que vers le soir que nous avons rencontré la trace des animaux que nous recherchons, à l’embouchure de la rivière de la Foa.

Mêmes indices de leur passage sur la plage où se jette la Ouemeni ; là, l’eau douce plus claire nous permet de voir le haut fond dépourvu de tout cétacé ! Mais vers le soir, après toute une soirée passée en recherches nous sommes arrivés brusquement sur eux aux rives de la Fonouari.

 19 février 1874

 (…)

Ces trois journées passées en mer, à mener la vie rude du marin et du marin livré au hasard des grandes pêches, cette chasse ardente, incessante, émouvante à laquelle je ne suis pas habitué, m’ont peu à peu exténué. Dès la pointe du jour, nous avons quitté l’endroit où nous avions campé la nuit, pour recommencer la poursuite acharnée des dugongs.

Nous les atteignons vers Teremba, mais sans réussir à en harponner un seul.

Visitez le secteur de la Foa, Teremba ...

Rencontre vers 9 heures d’un vaisseau, qu’à la flamme qu’il porte à son grand mât, je reconnais pour un transport de l’Etat. Est-ce le Cher ? Je ne sais, nous nous en sommes tenus trop soigneusement éloignés pour en avoir pu lire son nom. Nous remontons toujours vers le nord ; et je remarque que la ceinture des récifs va toujours en se rapprochant de la côte, au point de s’y confondre quelquefois. Vers 3 heures, nous redescendons au sud-ouest et atterrissons à l’île Lebri. Personne ici, aucun signe de vie.

L’Australien se montre très inquiet de ce fait.

- Qu’en augurez-vous ? lui demandai-je.

- Que la tribu avec laquelle je trafique par ici a pris part à la guerre déclarée sur la côte Saint Vincent et qu’il y a du danger pour mon compagnon et pour mes produits si elle a prit parti pour celle de Bourake contre celle de Tono où j’ai établi une station. Il nous faut revenir en arrière et vivement, j’ai le pressentiment que nous avons été trop loin dans notre poursuite des dugongs… qui sait si nous trouverons Mac-Cathy vivant ! » et nous repartons à pleine voile dans la direction d’une haute montagne ; une douzaine de lieues nous en séparant ; elle est dénommée comme la baie qu’elle domine, Saint Vincent.

(…)

Il est grand nuit depuis longtemps lorsque nous atterrissons de nouveau à l’île Lebri pour nous y reposer jusqu’au jour. 

20 février 1874 

(…)

Dès le début, dans la baie d’Ouarai nous avons harponné un des cétacés que nous cherchions et l’avons hissé tout sanglant à bord. Favorisé d’abord par un bon vent, nous avons pu harceler le reste de la bande à chaque fois qu’elle s’est reformée sur un point de la côte. Cela nous entraîne constamment dans la direction du nord. La côte, sur ces parages devient de plus en plus sèche, aride ; à peine çà et là, quelques penchants boisés de niaoulis et de filaos, avec de petites vallées encombrées de broussailles. Après une bordée dans la baie de Bourail, où se trouve un pénitencier de femmes, nous avons été près de  retrouver notre bande de vaches marines ; des naturels nous affirment l’avoir rencontrée à la bouche de la rivière, mais à notre arrivée, trop effrayée par notre chasse incessante, elle s’est enfuie, dispersée aussitôt, et c’est à peine si nous avons pu apercevoir un ou deux individus, de très loin, venant respirer à la surface. Nous l’avons suivie jusqu’au cap Goulvain, sans avoir trouvé une occasion de l’attaquer.

(…) 

21 février 1874 

(…)

Voilà la presqu’île. Nous voguons vers la rade de Boulari. Il est 5 heures et demie lorsque nous arrivons. La troupe de dugongs est là affamée, sentant venir la nuit et voulant coûte que coûte se repaître avant la fin du jour.

(…) 

24 février 1874 

(…)

A 4 heures, nous voguons de nouveau en pleine mer libre, en route pour la presqu’île Ducos. Quoique favorisé par un beau temps très fixe, le vent qui soufflait du nord-ouest nous a contrariés à tel point que c’est seulement cette nuit à 1 heure du matin que le Ducker m’a déposé où il m’avait pris, sur la rive de la baie de Koutio-Koueta à 500 mètres de la pointe de la presqu’île Ducos.


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...
de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
5 - Statistiques de déportés (2) (6 avril 1874)

6 avril 1874 

(…)

On me communique une statistique intéressante sur la population de la Presqu’île Ducos Elle a été relevée sur les registres de l’administration.

Sur 614 déportés qui s’y trouvent actuellement, on en compte :

11 qui ne savent ni lire ni écrire,
54 qui savent lire et écrire quelque peu,
435 ont une instruction primaire,
14 ont une instruction supérieure.

Une cinquantaine ont subi des condamnations antérieures pour délits de droit commun ; mais une vingtaine seulement d’entre eux peuvent, par le nombre et la qualité de ces condamnations, être considérés comme de véritables repris de justice.

Sur l’ensemble des déportés, on en compte 242 nés dans le département de la Seine. Après ce département ceux qui en comptent le plus sont, dans l’ordre d’importance des chiffres : Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Nord, Meuse, Seine Inférieure, Aisne, Pas-de-Calais, Côte d’Or, Finistère, Rhône, Ardennes, Calvados, Creuse, Somme, etc. Seuls les départements des Alpes Maritimes, du Gers, lot, Lozère, Pyrénées Orientales, Vaucluse et Haute-Savoie n’en ont fourni aucun.

Les étrangers sont au nombre de 30 ainsi répartis : Belges 13, Italiens 7, Luxembourgeois 3, Polonais 1, Allemand 1, Suisse 4, Anglais 1. 

Ils se répartissent en 168 corps d’état ou professions dont :

68 sans profession

60 journaliers

33 soldats

32 cordonniers

32 maçons

30 employés de commerce

25 mécaniciens-ajusteurs

28 menuisiers ébénistes

15 serruriers

14 peintres en bâtiment

13 charpentiers

11 comptables

11 marchands de vin

11 tailleurs d’habits

11 terrassiers

10 tapissiers

9 couvreurs

9 jardiniers

8 bijoutiers

8 fumistes

8 plombiers

7 boulangers

7 garçons de magasin

7 tailleurs de pierre

7 cochers

6 cuisiniers

6 forgerons

6 limonadiers

5 selliers

5 hommes de lettres

5 typographes

5 papetiers

5 employés de chemin de fer

5 charcutiers

5 ciseleurs

4 chiffonniers

4 commis-voyageurs

4 ferblantiers

4 cultivateurs

4 cordiers

etc. etc.

 

Les femmes condamnées comprennent :

Une institutrice âgée de 39 ans, Louise Michel
1 sans profession de 38 ans
1  «        «               43
1 journalière 26 ans
1 religieuse 48 ans
1 couturière 43 ans
1  .......«     56 ans 

D’après cette statistique, il y aurait en population 15 000 blancs en Nouvelle Calédonie, tant en colons, industriels, déportés qu’en forçats dont 500 femmes libres à Nouméa.

La grande majorité des déportés a été condamnée pour participation à la Commune de Paris, mais plusieurs autres villes de province en ont fourni un certain nombre par suite des mouvements insurrectionnels qui y ont eu lieu.

La Commune de Lyon en a fourni 3 dont Leblanc et Caulet de Tayac.
Celle de Saint-Etienne est représentée par 4 : Tamet, Thibaudier, Machetti et Caton.

Histoire de la Commune de Saint-Etienne (1871) La Commune de Saint-Etienne

La Martinique par 3.
L’Algérie par une quarantaine d’Arabes.

Il faut ajouter à ces chiffres les 25 déportés décédés depuis leur arrivée et dont les restes reposent au Champ Beuret. 


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...
de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
6 - Rencontre avec un ... stéphanois ! (30 juin 1875)

30 juin 1875 

En revenant de la forêt cet après-midi, j’ai eu une surprise. Sur la route du camp, à la hauteur de la petite baie, un voiturier passait, conduisant une charrette. Il était seul et chantait une chanson en patois gaga . Je ne connais pas la chanson, mais j’ai reconnu le patois.

- Vous êtes donc de Saint-Etienne ? lui ai-je demandé comme il passait près de moi

Le voiturier, un jeune homme d’environ vingt-quatre ou vingt-cinq ans, a arrêté son cheval.

- Oui ! et vous aussi ? je sais que vous êtes plusieurs ici.

- De quel quartier ?

- De Bellevue.

- Tiens ! c’est à peu près le miens !

Comment êtes-vous ici, employé à Nouméa sans doute !

- Non, je suis là, me répond-il ; et son bras s’étend dans la direction de l’île Nou qui nous fait face.

- Forçat ! diable… qu’avez-vous donc fait ?

- Oh !… peu de chose. C’à été une injustice. J’étais chez les marchands de bois de Bellevue, comme bigaord… Mais chut… assez causé, voilà le gaffe ! Et comme à ce moment là, le chiourme sous la surveillance duquel il était placé apparaît au tournant, il fouette son cheval et disparaît. Je n’ai pu en savoir davantage.


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
7 - Note concernant la déportation en Nouvelle-Calédonie (3)
(début juillet 1875)

 Des travaux de la Commission dite des grâces, par dérision assurément, il résulte que 1.197 personnes ont été condamnées à la déportation dans une enceinte fortifiée et 3.446 à la déportation simple : 3.000 autres condamnations du même genre ont été prononcées contre des contumaces.

Au 1er juillet 1875, il y a en Nouvelle-Calédonie 3.619 déportés, ainsi divisés :

- Presqu’île Ducos : hommes : 805 – femmes : 6
- Ile des Pins et Grande Terre : hommes : 2.795 – femmes : 13

Sur cet ensemble de déportés on en trouve 18 âgés de plus de 60 ans ; 179 de 51 à 60 ; 667 de 41 à 50 ; 2.307 de 51 à 40 et 450 de 16 à 20 ans.

Par fonction ou grades, le classement des déportés donne les chiffres suivants :

Membres de la Commune : 9
Fonctions civiles supérieures : 18
Colonels, Lts Colonels, Commandants : 108
Capitaines, Lieuts, sous-lieutenants : 677
Sous-Off. Gdes Nationaux, fonctions civiles : 2.741
Divers : 47
Femmes 19

3.619

Un certain nombre – la statistique que je possède ne dit pas combien, mais nous savons qu’ils sont plus de 200 – bien que condamnés pour faits relatifs à la Commune, sont à l’île Nou, mêlés aux déportés de droit commun, et astreints, comme eux, au travail obligatoire. Parmi eux se trouvaient Grelier, Amouroux, Humbert, Maroteau, Brissac, Roque, Lullier, etc. Quelques femmes condamnées aussi aux travaux forcés pour participation à la Commune et internées à Bourail, ont obtenu de partager le sort de leurs maris déportés.

 24 juillet 1875

 Le Var, autre transport de l’Etat, vient d’arriver avec des condamnés. Six blindés et quatre femmes accompagnant leurs maris ont débarqué ici ce soir. 

Etat des mouvements des navires transportant les Déportés. (fin juillet 1875) 

Voici à ce jour (est-ce fini ?) le tableau des navires qui ont transporté les condamnés, ainsi que le nombre qu’ils en contenaient, les dates de départ et d’arrivée. 

  Départ Arrivée Déportés
Danae 5 mai 1872 30 septembre 1872 250
Guerrière 5 juin 1872 4 novembre 1872 680
Garonne 9 août 1872 7 novembre 1872 580
Var 18 octobre 1872 9 février 1873 580
Orne 15 janvier 1873 5 mai 1873 530
Calvados 18 mai 1873 27 septembre 1873 560
Virginie 10 août 1873 7 décembre 1873 160
Alceste 2 février 1874 9 août 1874 200
Loire   17 octobre 1874 40 arabes
Virginie (2°) 23 juillet 1874 4 janvier 1875 169
Calvados (2°)   19 janvier 18775 50 arabes
Garonne (2°)   12 mars 1875 9
Var (2°)   24 juillet 1875 25
      3 842


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Mot de Louise Michel à J. Caton.
Crédit photo :Publié in Journal d'un déporté ...



Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
8 - Rencontre avec Louise Michel ... (7 septembre 1875)

7 septembre 1875 

J’ai reçu ce matin la visite de Louise Michel En réponse à des vers composés par moi à son intention que je lui avais adressés, elle m’avait écrit ceci :

 « Baie N’gi, le 16 juin 1875 

Citoyen Caton, 

Je vous remercie seulement aujourd’hui, mais dans quelques jours, je vous enverrai des vers en réponses aux vôtres. 

Salut fraternel. 

L. Michel. »

(…)


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
9 - Nouvelle installation dans la vallée de Numbo
(14 juin - 9 novembre 1876)

14 juin 1876 

Une décision du rapport de ce jour me concède le lot n° 333, vallée de Numbo que je cultive et où j’habite Sur le plan du lotissement il continuait à figurer au nom du déporté de qui je l’ai acheté et je me souciais peu de l’en déranger, n’ayant pas l’espoir de devenir jamais le propriétaire absolu et définitif de cette concession, mais le formalisme administratif oblige ! 

9 novembre 1876 

Aujourd’hui, j’ai eu quelques instants de réveil. Le temps était devenu plus frais, j’avais gravi, vers 3 heures de l’après-midi, le haut sommet auquel sont adossées les deux vallées Numbo et Tindu et d’où, plus que de nulle part ailleurs, on domine le tableau de la déportation et l’ensemble enchevêtré des montagnes de la Grande-Terre, depuis le Kaghi jusqu’au mont d’Or. Je retrouvais là les senteurs étrangères dont l’air est imprégné et qui me reportent, chaque fois que mes sens en sont frappés, malgré moi, au premier jour de mon débarquement. Je cherche à découvrir un nid de ces hirondelles, qui, je le pense, doivent nicher dans ces roches torréfiées par le soleil. Je perds ainsi une demi-heure en vain, ces nids sont trop bien cachés, et personne avant moi, n’a pu encore en découvrir. Cette recherche change encore le cours de mes idées ; je me transporte au pays natal, dans les bois de Solaure et du Furet [*] et je me revois auprès de nids que j’ai découverts. Et défilent tous les jeux et les événements de mon enfance les bruits, les cris de la rue retentissent à mes oreilles et je me sens de nouveau bercé par le bruit accoutumé et monotone des métiers tissant le velours et du rouet préparant les canettes. J’entends le clairon et les tambours faisant école sous les murs du cimetière de Valbenoite, et mes souvenirs, à cette évocation, arrivent en foule. O pataire, crie l’acheteur de vieux chiffons ; Arsouillé, dit le regrouleur. D’autres crient : O râcle-fourneau ! o Vitûi ! A ra… commoder la faïence ! Paraplui..i.î ! Vlâ le pirourou ! Puis c’est le marchand de porte-montres qui vend aussi des jolies sainte Vierge et des Napoléons à bon marché ! mais qui n’ose plus crier ce dernier article depuis qu’on l’a mis pour cela en prison, les Napoléons devant être toujours très chers. Ce sont les marchands de fruits et de légumes qui crient tout à doûs liâs quel que soit le prix de leur marchandise, doûs liâs lous areins : doûs liâs, etc.

[*] Deux quartiers au sud de Saint-Etienne.

Et c’est le son des cloches des usines voisines qui me les montre tout à coup, déversant leur peuple dans la rue, tous s’éparpillant pour aller à leur repas… Et le bruit des rouets… des métiers revient… me berce… et je m’endors sur la montagne, sous les hirondelles, entre les rochers recouverts de lichens et de mousses. 


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ...
10 - Lettre des parents - commutation de peine (14 février - 14 avril 1877)

14 février 1877 

(…)

Je reçois une lettre de les parents qui m’apprend que les deux lettres que je leur avais adressées le 11 juillet dernier ne leur sont pas parvenus ! Et j’attendais une réponse à divers points très importants pour moi ! J’ai attendu inutilement six mois et il me faut recommencer. Quel supplice ! Mais qui donc détourne nos lettres ?

Et mes parents pendant tout ce temps ont été dans une inquiétude mortelle. 

14 avril 1877 

Le rapport d’aujourd’hui, samedi, m’apprend que je suis, de par une décision gracieuse en date du 30 janvier 1877, commué de ma peine d’enceinte fortifiée à la déportation simple. Huit autres blindés sont l’objet de la même clémence ! Le même rapport m’annonce que je pars demain pour l’île des Pins. J’ai ainsi à peine le temps de préparer mes bagages. Je lègue mes cultures à mon compatriote Tamet et charge un ami Gazet, de faire de ma paillote ce qu’il pourra. Que Sermet n’est-il encore vivant ! Combien je serais heureux de le retrouver là-bas ! (…) 


Source : extrait de : Joannes Caton, Journal d'un déporté 1871-1879 ...

de la Commune à l'Ile des Pins, éditions France-Empire, 1986.

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