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Joannes CATON Le séjour
sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) |
mise à jour : 30.08.2005 |
Plan de Nouméa et environs à l'époque de J. Caton. Crédit photo : R. Jannot, publié in Journal d'un déporté ... |
Le séjour sur la presqu'île de Ducos (Nouméa) ... Ducos, ministre de
la Marine et des Colonies, organisa en 1853 la prise de possession de
la Nouvelle-Calédonie par la France. La presqu'île de Ducos
borde au nord la rade de Nouméa, longue de 7 kilomètres. 1 - Installation et premières découvertes (28 septembre - 23 octobre 1873) 2 - Un terrain à moi ... (31 octobre - 5 décembre 1873) 3 - Quelques notes sur la Calédonie ... statistiques de déportés (1) (9 décembre 1873 - 20 janvier 1874) 4 - Evasion ... partie de pèche en mer ... découverte ... (18 - 24 février 1874) 5 - Statistiques de déportés (2) (6 avril 1874) 6 - Rencontre avec un ... stéphanois ! (30 juin 1875) 7 - Note concernant la déportation en Nouvelle-Calédonie (3) (début juillet 1875) 8 - Rencontre avec Louise Michel ... (7 septembre 1875) 9 - Nouvelle installation dans la vallée de Numbo (14 juin - 9 novembre 1876) 10 - Lettre des parents - commutation de peine (14 février - 14 avril 1877) Visitez la Presqu'île de Ducos |
Des déportés à leur débarquement à Nouméa Crédit photo : Journal de la Société des Océanistes, publié in Journal d'un déporté ...
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 1 - Installation et premières découvertes ... (28 septembre - 23 octobre 1873) 28
septembre 1873 Cest
dimanche. Du pont où nous sommes montés, on voit à
gauche la presquîle Ducos avec les tentes et les
baraquements des déportés. Dici, cela a un air
pauvre et triste. A
droite, cest lîle Nou avec son pénitencier
; en face Nouméa dont une montagne nous masque une
partie. A midi,
on repart et le Calvados contourne lîle Nou
en la rasant à la toucher et va sancrer en plein
port de Nouméa. Une vingtaine de navires y sont
mouillés, dont deux transports français : le Cher
et la Rance. La moitié de ces navires ont le
pavillon anglais. Nous
espérions, dans notre impatience de quitter notre enfer,
débarquer aujourdhui, mais ce nest que
demain que les déportés condamnés à lenceinte
fortifiée seront conduits à la presquîle Ducos. Au soir
on fait lappel de ces blindés, comme on
nous appelle. Nous, sommes en 4 batteries, 133. On nous
prévient dêtre prêts pour demain au lever du
soleil. 29
septembre 1873 Avant 5
heures, on nous fait rendre nos hamacs, on délivre nos
bagages et on nous sert le café. A 5 heures, l'ordre
est donné aux « blindés » de monter sur le pont, c'est l'instant de la
séparation définitive. Nous jetons les yeux sur notre nouvelle patrie,
les montagnes en sont jaunes, sèches ; autour de nous et sur Nouméa flotte
une atmosphère rougeâtre, les nuages ont l'air de sortir d'un volcan.
Sur le
pont, un appel se fait et aussitôt nous descendons dans
les chaloupes qui nous attendent collées aux flancs du Calvados.
Le ciel est couvert, la mer jaunâtre, l'atmosphère
brûlante: il pleut. Il est 7 heures lorsque nous sommes
tous placé dans les chaloupes. Le remorqueur se met en
route. (. ..) Le remorqueur contourne une pointe de l'île Nou ce qui nous éloigne du bagne et nous rapproche de Nouméa, puis cingle en droite ligne sur la presqu'île Ducos. (...) Voici qu'on distingue de plus en plus la presqu'île Ducos,
on écarquille les yeux, on s'efforce de s'emplir la vue du tableau de
cette enceinte ainsi apparue, mais seules, quelques habitations en planches,
isolées, s'offrent à notre curiosité. Un cavalier descend (...) par un sentier de la montagne; nous
laissons, l'ile Nou et Nouméa loin derrière nous. Nous arrivons; nous
voilà au point de débarquement. C'est un léger quai sur pilotis d'environ
quarante mètres de longueur. On s'arrête... on attend... (
) Un signal est donné et nous escaladons le quai les uns par
l'escalier, la plupart par les poutres de côté. On nous rend nos sacs, nos hamacs, nos malles, tous nos bagages,
et il nous les faut porter jusqu'au campement à vingt minutes de là. Nous
sommes chargés à crever. Nouvel appel, par ordre alphabétique cette fois et voilà qu'on
nous lâche sur le bord de la mer. Oh! la joie de se dégourdir les jambes
après cinq mois d'une existence de cul-de-jatte. Oh ! la volupté de sentir la terre ferme sous ses pas! l'espace
autour et au-dessus de soi! C'est comme une ivresse sous laquelle nous
trébuchons bien plus que sous nos fardeaux dont nous ne sentons plus le
poids. Nous marchons sur une terre d'un jaune rougeâtre formée par une
sorte de schiste tendre effrité. Une belle fleur rouge et jaune s'offre
à droite du chemin. Quel bonheur pour moi de la cueillir ! C'est une asclépiade.
(...) Nous passons une langue de terre qui relie à marée basse l'ilôt
Kuari à la presqu'île. Cet Îlot n'est qu'une seule montagne, des forçats
creusent un de ses flancs pour en extraire de la pierre et s'interrompent
pour nous regarder passer. Voilà la baie de N'umbo. Je cueille encore au passage quelques
fleurs blanches (il y a si longtemps que je n'ai eu une telle réjouissance),
je m'étonne de la couleur jaunâtre que l'on voit à la terre de tous côté
et nous arrivons aux premières maisons de l'enceinte fortifiée. Ce sont
des prisons bâties en pierre enduits de chaux, ce sont les habitations
des surveillants. Nous remarquons un poteau qui marque la limite du territoire
réservé aux déportés. Plusieurs centaines de nos compagnons d'infortune en blouses
et pantalons de toile blanche, le chef recouvert de larges chapeaux de
paille sont là qui nous attendent. On se reconnaît, on se serre les mains
et chacun, suivant ses amis retrouvés, s'éparpille de son côté. Je suis Tamet, Machetti et un jeune
homme nommé Carrier, né à Saint-Etienne, mais condamné à Versailles, et
ils me conduisent dans une grande case où se trouve plusieurs autres déportés
qui m'accueillient à bras ouverts. (
) Si j'en crois ce que l'on me dit, jusqu'à présent le gouverneur
applique à la lettre le 1er paragraphe de l'article 4 de la loi
du 13 mars 1872 nous concernant : « Les condamnés à l'enceinte fortifiée jouiront dans la presqu'île
Ducos de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer la garde
de leur personne et le maintien de l'ordre, « Après les appels, ils peuvent circuler librement sur tout
le territoire limité seulement par le chemin de ronde de l'est.» Dans la première vallée, à quelques mètres de distance les
unes des autres, dix, quinze, vingt mètres au plus, les déportés ont construit
en paille, bois et boue, une centaine de cases dites paillotes, basses,
étroites, pleines de puces et de moustiques et ayant toutes une apparence
triste, Elles sont entourées de concessions de terrain séparées par de
légères barrières de broussailles et le tout constitue la capitale de
la déportation; la ville de Numbo. Dans la deuxième vallée, appelée Tindu, séparée de la première
par une légère élévation, d'autres déportés ont édifié une vingtaine d'autres
paillotes dans un même nombre de concessions de terrain. (
) Dans le fond de Numbo (...) un peu plus à droite s'élèvent
plusieurs grandes constructions mi-partie en pierre, mi-partie en bois
recouvertes en zinc. Ce sont : au milieu, l'hôpital avec un 1er étage
entouré d'une véranda; derrière, l'habitation des surs, à gauche
celle du surveillant et de l'aide-major chargés
du service, puis à droite et un peu à l'écart une autre construction presque
carrée qui sert à la fois d'église et de logement à un curé. En suivant plus loin le bord de la mer, on arrive sur une petite
baie dénommée N'gi sablonneuse et propre, celle-ci, et toute bordée d'une
variété de rhododendrons, de pruniers à fruits d'or, de bois de Santal,
et de milnéas à fleurs roses et à parfum exquis. (
) On arrive ensuite à une autre baie, large, vaste, toute formée
d'un sable fin et de coquillage brisés. C'est la baie dite Gentelet, du
nom du déporté qui le premier est venu y fixer sa paillote. Une montagne
toute recouverte d'une épaisse forêt la protège contre les vagues de la
haute mer et forme la pointe extrême de la presqu'île Ducos. Traversant l'isthme, d'une centaine
de mètres de large, qui relie la forêt à la presqu'île on arrive à la
baie de la Dumbéa, calme, immense, semée d'îlots mais là, pas de plages,
ni de sentier au bord de l'eau, mais un chemin à dix mètres au-dessus
de la mer qui ramène à la vallée Tindu. Par ici, par là, des petits bois
de sapinettes, des bois de fer, des gaïacs etc. Un peu avant d'arriver
à Tindu, sur une pointe de terre qui regarde le nord, on rencontre le
cimetière des déportés. 30 septembre 1873 Au large une ligne de coraux. Par endroit cette ligne s'interrompt
et la mer y est calme, ce sont les passes, les seuls endroits par où les
navires ont accès à la Nouvelle-Calédonie. Sur le versant ouest de la
forêt, est un bras de mer qui sépare la presqu'île de l'îlot Freyssinet.
Cet îlot qui n'est qu'une montagne, paraît n'être habité que par des animaux
qui y paissent en liberté. Peu d'arbres mais beaucoup de broussailles.
Nous trouvons là un serpent qui à notre approche, s'empresse de regagner
le flot. Nous nous en emparons et l'emportons après l'avoir tué; sa tête
est ronde, petite, et son corps tout annelé de blanc, de bleu et de noir,
a environ 1 mètre de longueur. Ce serpent d'eau (Hydrophis) est dit très
venimeux cependant. (
) Une longue crête formée d'une demi-douzaine de montagnes de
quelques centaines de mètres d'élévation, avec entre elles, deux fonds
marécageux, sorte de vallées pleines de boue noire, adossées l'une à l'autre
et finissant à la mer par un marais de palétuviers: telle est la presqu'île
Ducos. Dans ces deux vallées sont établis les deux camps qui constituent
la déportation dans une enceinte fortifiée : Numbo et Tindu. Un chemin dit de ronde, contourne les flancs de ces
montagnes et, la nuit, est parcouru par des surveillants faisant office
de sentinelles. Pas le moindre indice de fortifications: à quoi bon d'ailleurs
; la mer entourant la presqu'île à peu prés de partout; le seul chemin
par lequel on pourrait en sortir est celui qui conduit à Nouméa et être
à Nouméa ne signifierait pas que l'on est libre, loin de là. 8 octobre 1873 Le courrier qui emporte nos lettres pour la France part aujourd'hui
pour Sydney. Comme à Oleron, j'ai ici un no :
le 719, mais contrairement à ce qui a eu lieu pour les forçats, nos numéros
sont toujours suivis de nos noms sur les rapports affichés par l'administration.
23 octobre 1873 (
) La nourriture qui nous est allouées est déterminée par l'article
2 du décret d'administration publique
du 31 mai 1872 réglant la régime auquel nous sommes assujettis. Il
est ainsi conçu : « La nourriture du déporté est celle du soldat aux colonies,
sauf la ration de vin. » Elle consiste en: viande fraîche ou conservée: 250 grammes,
pain : 750 grammes, café: 20 grammes, sucre cassonade : 25 grammes, huile
: 8 grammes, vinaigre: 2 centilitres, haricots ou riz: 12 ou -6 centilitres.
Le pain seul est préparé et nous devons faire cuire nous-mêmes le reste
de nos aliments. C'est ce que, dans notre baraque, nous faisons à tour
de rôle au moyen d'ustensiles de campement des plus élémentaires. Chacun doit se procurer le combustible nécessaire à son tour
de cuisine et pour cela, il faut aller d'avance à la forêt ouest en ramasser
et rapporter une charge.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 2 - Un terrain à moi ... (31 octobre - 5 décembre 1873) 31 octobre 1873 Une
décision du rapport de ce jour me concède un terrain
(lot numéro 464) d'une surface de 200 mètres carrés
entre la case Paschal Grousset et le camp de la Guerrière.
Je m'étais résolu à faire cette
demande de concession, il y a quelques jours, moins pour
me livrer à la culture que pour être plus tranquille,
plus à l'aise pour travailler, et pour échapper plus
sûrement aux accès de désespoir qui reviennent trop
souvent. De l'emplacement que j'ai choisi, je dominerai
la grande rade et j'aurai la vue de toute l'Île Nou et
d'une partie de Nouméa. 5 novembre 1873 Les
asclépiades ont cessé de fleurir et leurs graines se
sont envolées sous la bise, portées par leurs aigrettes
soyeuses. C'est le moment de la floraison des
palétuviers. J'ai vu aujourd'hui le fameux vampire
calédonien, il est noir, a le museau tenant du singe et
du chat. Il est de la grosseur d'un écureuil, comme lui
garni d'une fourrure épaisse et longue. La longueur de
son corps est d'environ 0,25 m mais ses ailes une fois
ouvertes donnent à la bête un grand développement. De
ses poils, m'affirme-t-on, les naturels se font des
tresses pour attacher leurs cheveux ou suspendre à leur
cou des coquillages. Les requins se font voir
fréquemment sur les bords de nos plages depuis quelques
jours; aussi les déportés qui se livrent à la pêche
se plaiqnent-ils que leurs lignes cassent fréquemment. 17
novembre 1873 Le
commandant territorial de la presqu'île Ducos,
Pelet-Lautrec lieutenant de marine, capitaine du Cyclope
est remplacé par le capitaine d'infanterie de marine
Lanoé. 18
novembre 1873 J'ai
assisté hier depuis 6 heures du soir jusqu'à 10 heures
à un spectacles grandiose. Le feu avait pris à la
pointe ouest de l'île Nou et toute la montagne était en
flammes. Du sommet le plus élevé de la presqu'île où
j'étais monté, le tableau était émouvant et je ne
pouvais me lasser de le contempler. La sécheresse est,
sans doute, seule cause de cet incendie. A ma droite sur
la Grande-Terre vers Bourail une autre forêt peut-être
plus importante est aussi en flammes, mais l'éloignement
en diminue considérablement leffet. 5
décembre 1873 Par la porte de ma chambre que je
tiens entr'ouverte, j'aperçois tout un coin du port, le
seul endroit où se trouve quelque animation. Matelots
français, anglais, australiens, hindous, chinois et
malais, etc... s'y coudoient, chargeant ou déchargeant
des colis; ouvriers canaques, néo-hébridais où des
Loyalty attelés à des rudes corvées; déportés
s'offrant à la besogne, soldats et officiers flânant,
policiers surveillant et patrons dirigeant, ordonnant,
hurlant des ordres accompagnés de grossières injures.
Ici un riche armateur traite d'affaires avec quelques
gros commerçants, le chef abrité d'un vaste et luxueux
panama; là, un colon accompagné de sa femme et de ses
filles erre sur le port, attendant sans doute l'heure de
quitter la colonie pour rejoindre sa patrie, peut-être
seulement pour aller passer un mois de vie et de plaisir
à Sydney; ailleurs ce sont des enfants de négociants
qui s'amusent sous la conduite et la surveillance d'un garçon
de famille, forçat non libéré que le gouvernement
des pénitenciers accorde aux habitants de Nouméa
auxquels ne suffisent pas les serviteurs indigènes et
qui ont besoin d'un domestique civilisé! Qu'était
dans le monde celui que j'aperçois ? notaire, médecin.
avocat. prêtre ou simple escarpe !
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 3 - Quelques notes sur la Calédonie ... statistiques de déportés (1) (9 décembre 1873 - 20 janvier 1874) 9 décembre
1873 Les noms
donnés par les naturels à divers points de la
Nouvelle-Calédonie et qu'on leur a laissés en
général, sont tous monosyllabiques. La langue canaque
peu riche en mots (400 environ) trouve moyen de tout
exprimer par le simple changement d'une consonne devant
une syllabe quelconque. De là les noms géographiques de
N'Gi, M'Bi, N'Bo (dont on a fait Numbo), N'Du (Undu),
T'du (Tindu), N'Méa (Nouméa), D'Béa (Dumbéa). 14
décembre 1873 Les femmes déportées à l'enceinte fortifiée sont arrivées ce
matin à 8 heures, débarquées de la Virginie. Elles sont huit et
ont toutes été cantonnées dans un même baraquement au milieu de Numbo.
Louise Michel est du nombre et l'accueil qui lui a été fait prouve qu'elle
jouit d'une grande popularité parmi les Parisiens. Un bruit
court depuis quelques temps avec persistance. Il
s'agirait de la suppression de l'enceinte fortifiée et
nous irions tous à l'île des Pins. Il est
possible que la trop grande proximité de la presqu'île
Ducos avec Nouméa soit une gêne pour l'administration
et lui inspire des craintes sur notre sauvegarde, mais
l'enceinte fortifiée créée par une loi ne peut être
supprimée que par une loi et il passera de la houle sur
les récifs avant que celle-ci soit faite.
Derrière
ces collines se dressent, à pic et inaccessibles, de
hautes montagnes entièrement dénudées, parmi
lesquelles l'une, le Mont-d'Or, atteint une altitude de
1.800 mètres. Tout près de nous, à quelques encablures
du rivage, se voient deux îlots, l'un, Undu,
entièrement recouvert par une forêt, le second Nie, au
contraire, n'est, comme l'île Freycinet, placée à
l'entrée de la même baie, qu'une crête où la brousse
même ne croit que péniblement.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 4 - Evasion ... partie de pèche en mer ... découverte ... (18 - 24 février 1874) 18 février
1874 (
) Jignore
quel est le point exact de la côte où je me trouve. Le
pêcheur ma assuré que nous campons entre Païta
et Bouloupaic [*], près dune rivière appelée la
Tontouta et sur le territoire dune tribu des plus
insoumises. Nous ne devons y séjourner que quelques
heures, le temps de préparer notre prise et de faire
divers échanges avec les insulaires. (
)
Visitez la région de Bouloupari Favorisé
dun bon vent, le Ducker court comme une
hirondelle sur la surface miroitante du lac que forme
locéan dans cette partie de la Grande-Terre que
borde au large la ligne des récifs. Sur la côte, le
paysage change peu, mais maintenant des îlots dont
quelques-uns, très importants, se montrent sur notre
gauche. Fawcett, qui a ouvert sur le bordage une carte
rapportée de Sydney, me désigne du doigt leurs noms. Ce
sont les îles Hugon, Pouen, le Predour, Ducos. Toutes
sont situées dans une vaste baie plus allongée que
profonde appelée Saint Vincent, au fond de laquelle se
trouve le village de Bouloupari. Il y a
quatre heures que nous naviguons sous un ciel torride,
heureusement tempéré par une bonne brise du large,
lorsque nous voyons venir à nous un navire que dans
léloignement, jai pris pour un trois-mats.
Jusque-là nous navons rencontré que des pirogues
de canaques, accouplées ou munies dun balancier,
voguant à la recherche des cachalots ou des requins. -
Cest le Viti, me dit John Fawcett, un petit
côtier de 30 tonneaux, qui sen revient du tour de
côte et retourne à Nouméa. Et il
sen rapproche du plus près quil soit
possible et demande aux hommes de léquipage
sils nont aperçu par-là les troupeaux que
nous recherchons. Si, ils les ont rencontrés et à
plusieurs reprises, après avoir doublé le camp
Goulvain, nous devons sûrement les retrouver par-là. A son
tour Fawcett apprend aux hommes du Viti la
nouvelle de la guerre déclarée entre les tribus des
territoires de Paita quils rapporteront au
chef-lieu de la colonie. (
) Ce
nest que vers le soir que nous avons rencontré la
trace des animaux que nous recherchons, à
lembouchure de la rivière de la Foa. Mêmes indices de leur passage sur la plage où se jette la Ouemeni ; là, leau douce plus claire nous permet de voir le haut fond dépourvu de tout cétacé ! Mais vers le soir, après toute une soirée passée en recherches nous sommes arrivés brusquement sur eux aux rives de la Fonouari. Ces trois journées passées en mer, à mener la vie rude du marin
et du marin livré au hasard des grandes pêches, cette chasse ardente,
incessante, émouvante à laquelle je ne suis pas habitué, mont peu
à peu exténué. Dès la pointe du jour, nous avons quitté lendroit
où nous avions campé la nuit, pour recommencer la poursuite acharnée des
dugongs. Nous les atteignons vers Teremba, mais sans réussir à en harponner un seul. Visitez le secteur de la Foa, Teremba ... Rencontre vers 9 heures dun vaisseau, quà la flamme
quil porte à son grand mât, je reconnais pour un transport de lEtat.
Est-ce le Cher ? Je ne sais, nous nous en sommes tenus trop
soigneusement éloignés pour en avoir pu lire son nom. Nous remontons toujours
vers le nord ; et je remarque que la ceinture des récifs va toujours
en se rapprochant de la côte, au point de sy confondre quelquefois.
Vers 3 heures, nous redescendons au sud-ouest et atterrissons à lîle
Lebri. Personne ici, aucun signe de vie. LAustralien se montre très inquiet de ce fait. - Quen augurez-vous ? lui demandai-je. - Que la tribu avec laquelle je trafique par ici a pris part
à la guerre déclarée sur la côte Saint Vincent et quil y a du danger
pour mon compagnon et pour mes produits si elle a prit parti pour celle
de Bourake contre celle de Tono où jai établi une station. Il nous
faut revenir en arrière et vivement, jai le pressentiment que nous
avons été trop loin dans notre poursuite des dugongs
qui sait si
nous trouverons Mac-Cathy vivant ! » et nous repartons à pleine voile
dans la direction dune haute montagne ; une douzaine de lieues
nous en séparant ; elle est dénommée comme la baie quelle domine,
Saint Vincent. (
) Il est grand nuit depuis longtemps lorsque nous atterrissons
de nouveau à lîle Lebri pour nous y reposer jusquau jour. 20 février 1874 (
) Dès le début, dans la baie dOuarai nous avons harponné
un des cétacés que nous cherchions et lavons hissé tout sanglant
à bord. Favorisé dabord par un bon vent, nous avons pu harceler
le reste de la bande à chaque fois quelle sest reformée sur
un point de la côte. Cela nous entraîne constamment dans la direction
du nord. La côte, sur ces parages devient de plus en plus sèche, aride ;
à peine çà et là, quelques penchants boisés de niaoulis et de filaos,
avec de petites vallées encombrées de broussailles. Après une bordée dans
la baie de Bourail, où se trouve un pénitencier de femmes, nous avons
été près de retrouver notre
bande de vaches marines ; des naturels nous affirment lavoir
rencontrée à la bouche de la rivière, mais à notre arrivée, trop effrayée
par notre chasse incessante, elle sest enfuie, dispersée aussitôt,
et cest à peine si nous avons pu apercevoir un ou deux individus,
de très loin, venant respirer à la surface. Nous lavons suivie jusquau
cap Goulvain, sans avoir trouvé une occasion de lattaquer. (
) 21 février 1874 (
) Voilà la presquîle. Nous voguons vers la rade de Boulari.
Il est 5 heures et demie lorsque nous arrivons. La troupe de dugongs est
là affamée, sentant venir la nuit et voulant coûte que coûte se repaître
avant la fin du jour. (
) 24 février 1874 (
) A 4 heures, nous voguons de nouveau en pleine mer libre, en route pour la presquîle Ducos. Quoique favorisé par un beau temps très fixe, le vent qui soufflait du nord-ouest nous a contrariés à tel point que cest seulement cette nuit à 1 heure du matin que le Ducker ma déposé où il mavait pris, sur la rive de la baie de Koutio-Koueta à 500 mètres de la pointe de la presquîle Ducos.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 5 - Statistiques de déportés (2) (6 avril 1874) 6 avril
1874 (
) On me communique une statistique intéressante sur la population
de la Presquîle Ducos Elle a été relevée sur les registres de ladministration Sur 614
déportés qui sy trouvent actuellement, on en
compte : 11 qui ne savent ni lire ni écrire, Une cinquantaine ont subi des condamnations antérieures pour
délits de droit commun ; mais une vingtaine seulement dentre
eux peuvent, par le nombre et la qualité de ces condamnations, être considérés
comme de véritables repris de justice. Sur lensemble des déportés, on en compte 242 nés dans
le département de la Seine. Après ce département ceux qui en comptent
le plus sont, dans lordre dimportance des chiffres :
Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Nord, Meuse, Seine Inférieure, Aisne, Pas-de-Calais,
Côte dOr, Finistère, Rhône, Ardennes, Calvados, Creuse, Somme, etc.
Seuls les départements des Alpes Maritimes, du Gers, lot, Lozère, Pyrénées
Orientales, Vaucluse et Haute-Savoie nen ont fourni aucun. Les
étrangers sont au nombre de 30 ainsi répartis :
Belges 13, Italiens 7, Luxembourgeois 3, Polonais 1,
Allemand 1, Suisse 4, Anglais 1. Ils se répartissent en 168 corps détat ou professions dont :
Les femmes condamnées comprennent : Une institutrice âgée de 39 ans, Louise Michel Daprès cette statistique, il y aurait en population 15
000 blancs en Nouvelle Calédonie, tant en colons, industriels, déportés
quen forçats dont 500 femmes libres à Nouméa. La grande majorité des déportés a été condamnée pour participation
à la Commune de Paris, mais plusieurs autres villes de province en ont
fourni un certain nombre par suite des mouvements insurrectionnels qui
y ont eu lieu. La Commune de Lyon en a fourni 3 dont Leblanc et Caulet de
Tayac. La Martinique par 3. Il faut ajouter à ces chiffres les 25 déportés décédés depuis
leur arrivée et dont les restes reposent au Champ Beuret.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 6 - Rencontre avec un ... stéphanois ! (30 juin 1875) 30 juin 1875 En revenant de la forêt cet après-midi, jai eu une surprise.
Sur la route du camp, à la hauteur de la petite baie, un voiturier passait,
conduisant une charrette. Il était seul et chantait une chanson en patois
gaga . Je ne connais pas la chanson, mais jai reconnu le patois. - Vous
êtes donc de Saint-Etienne ? lui ai-je demandé
comme il passait près de moi Le
voiturier, un jeune homme denviron vingt-quatre ou
vingt-cinq ans, a arrêté son cheval. -
Oui ! et vous aussi ? je sais que vous êtes
plusieurs ici. - De
quel quartier ? - De
Bellevue. -
Tiens ! cest à peu près le miens ! Comment
êtes-vous ici, employé à Nouméa sans doute ! - Non,
je suis là, me répond-il ; et son bras
sétend dans la direction de lîle Nou qui
nous fait face. -
Forçat ! diable
quavez-vous donc
fait ? -
Oh !
peu de chose. Cà été une
injustice. Jétais chez les marchands de bois de
Bellevue, comme bigaord
Mais chut
assez causé, voilà le gaffe ! Et comme à
ce moment là, le chiourme sous la surveillance duquel il
était placé apparaît au tournant, il fouette son
cheval et disparaît. Je nai pu en savoir
davantage.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 7 - Note concernant la déportation en Nouvelle-Calédonie (3) (début juillet 1875) Au 1er
juillet 1875, il y a en Nouvelle-Calédonie 3.619
déportés, ainsi divisés : - Presquîle Ducos : hommes : 805 femmes :
6 Sur cet
ensemble de déportés on en trouve 18 âgés de plus de
60 ans ; 179 de 51 à 60 ; 667 de 41 à
50 ; 2.307 de 51 à 40 et 450 de 16 à 20 ans. Par
fonction ou grades, le classement des déportés donne
les chiffres suivants : Membres de la Commune : 9 3.619 Un
certain nombre la statistique que je possède ne
dit pas combien, mais nous savons quils sont plus
de 200 bien que condamnés pour faits relatifs à
la Commune, sont à lîle Nou, mêlés aux
déportés de droit commun, et astreints, comme eux, au
travail obligatoire. Parmi eux se trouvaient Grelier,
Amouroux, Humbert, Maroteau, Brissac, Roque, Lullier,
etc. Quelques femmes condamnées aussi aux travaux
forcés pour participation à la Commune et internées à
Bourail, ont obtenu de partager le sort de leurs maris
déportés. Etat des
mouvements des navires transportant les Déportés. (fin
juillet 1875) Voici à ce jour (est-ce fini ?) le tableau des navires
qui ont transporté les condamnés, ainsi que le nombre quils en contenaient,
les dates de départ et darrivée.
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Mot de Louise Michel à J. Caton. Crédit photo :Publié in Journal d'un déporté ...
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 8 - Rencontre avec Louise Michel ... (7 septembre 1875) 7 septembre
1875 Jai
reçu ce matin la visite de Louise Michel En réponse à
des vers composés par moi à son intention que je lui
avais adressés, elle mavait écrit ceci : Citoyen
Caton, Je
vous remercie seulement aujourdhui, mais dans
quelques jours, je vous enverrai des vers en réponses
aux vôtres. Salut
fraternel. L. Michel. » (
)
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 9 - Nouvelle installation dans la vallée de Numbo (14 juin - 9 novembre 1876) 14 juin
1876 Une
décision du rapport de ce jour me concède le lot n°
333, vallée de Numbo que je cultive et où jhabite
Sur le plan du lotissement il continuait à figurer au
nom du déporté de qui je lai acheté et je me
souciais peu de len déranger, nayant pas
lespoir de devenir jamais le propriétaire absolu
et définitif de cette concession, mais le formalisme
administratif oblige ! 9
novembre 1876 Aujourdhui, jai eu quelques instants de réveil.
Le temps était devenu plus frais, javais gravi, vers 3 heures de
laprès-midi, le haut sommet auquel sont adossées les deux vallées
Numbo et Tindu et doù, plus que de nulle part ailleurs, on domine
le tableau de la déportation et lensemble enchevêtré des montagnes
de la Grande-Terre, depuis le Kaghi jusquau mont dOr. Je retrouvais
là les senteurs étrangères dont lair est imprégné et qui me reportent,
chaque fois que mes sens en sont frappés, malgré moi, au premier jour
de mon débarquement. Je cherche à découvrir un nid de ces hirondelles,
qui, je le pense, doivent nicher dans ces roches torréfiées par le soleil.
Je perds ainsi une demi-heure en vain, ces nids sont trop bien cachés,
et personne avant moi, na pu encore en découvrir. Cette recherche
change encore le cours de mes idées ; je me transporte au pays natal,
dans les bois de Solaure et du Furet [*]
et je me revois auprès de nids que jai découverts. Et défilent tous
les jeux et les événements de mon enfance les bruits, les cris de la rue
retentissent à mes oreilles et je me sens de nouveau bercé par le bruit
accoutumé et monotone des métiers tissant le velours et du rouet préparant
les canettes. Jentends le clairon et les tambours faisant école
sous les murs du cimetière de Valbenoite, et mes souvenirs, à cette évocation,
arrivent en foule. O pataire, crie lacheteur de vieux chiffons ;
Arsouillé, dit le regrouleur. Dautres crient : O râcle-fourneau !
o Vitûi ! A ra
commoder la faïence !
Paraplui..i.î ! Vlâ le pirourou ! Puis cest
le marchand de porte-montres qui vend aussi des jolies sainte Vierge et
des Napoléons à bon marché ! mais qui nose plus crier
ce dernier article depuis quon la mis pour cela en prison,
les Napoléons devant être toujours très chers. Ce sont les marchands de
fruits et de légumes qui crient tout à doûs liâs quel que soit le prix
de leur marchandise, doûs liâs lous areins : doûs liâs, etc. Et
cest le son des cloches des usines voisines qui me
les montre tout à coup, déversant leur peuple dans la
rue, tous séparpillant pour aller à leur
repas
Et le bruit des rouets
des métiers
revient
me berce
et je mendors sur la
montagne, sous les hirondelles, entre les rochers
recouverts de lichens et de mousses.
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Le séjour sur la
presqu'île de Ducos (Nouméa) ... 10 - Lettre des parents - commutation de peine (14 février - 14 avril 1877) 14 février
1877 (
) Je
reçois une lettre de les parents qui mapprend que
les deux lettres que je leur avais adressées le 11
juillet dernier ne leur sont pas parvenus ! Et
jattendais une réponse à divers points très
importants pour moi ! Jai attendu inutilement
six mois et il me faut recommencer. Quel supplice !
Mais qui donc détourne nos lettres ? Et mes
parents pendant tout ce temps ont été dans une
inquiétude mortelle. 14 avril
1877 Le
rapport daujourdhui, samedi, mapprend
que je suis, de par une décision gracieuse en date du 30
janvier 1877, commué de ma peine denceinte
fortifiée à la déportation simple. Huit autres
blindés sont lobjet de la même clémence !
Le même rapport mannonce que je pars demain pour
lîle des Pins. Jai ainsi à peine le temps
de préparer mes bagages. Je lègue mes cultures à mon
compatriote Tamet et charge un ami Gazet, de faire de ma
paillote ce quil pourra. Que Sermet nest-il
encore vivant ! Combien je serais heureux de le
retrouver là-bas ! (
)
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Evangélisation ... exploration et découverte du nickel ... déportation Des Foréziens sous les tropiques ... en Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle. Les Maristes ... Jules Garnier ... Joannès Caton 80 pages, ill., |
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